Contribution de Jérôme Relinger au débat Résister et reconstruire une force communiste
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Pour une civilisation de la connaissance démarchandisée

Depuis une trentaine d’années, parallèlement à notre déclin, nous vivons un changement d’époque. Ce n’est pas une coïncidence. Nos difficultés à donner à voir le monde dans lequel nous sommes sont au coeur de celles que nous éprouvons à formuler des propositions crédibles et populaires pour en révolutionner le cours. Comprendre la réalité reste une condition première de sa transformation : il nous faut donc avant tout renouer le lien entre l’intelligence du changement de société que l’on vit, et la lutte pour le changement de société que l’on veut.


Pour cela il ne suffit pas de répéter que le monde change : cette nouvelle époque, nous y sommes. On peut la caractériser de nombreuses façons : économique, écologique, de gouvernance, de civilisation enfin avec l’insuffisance du « marché », comme facteur antropologique d’explication et de justification de l’Humain.

Mais toutes ces explications s’inscrivent dans une phase de développement dont il me semble que la caractérisation cardinale reste la révolution informationnelle. Cette révolution, c’est celle du numérique adossé aux techniques d’information et de communication, et de la massification des réseaux qui interconnectent les usagers. C’est elle qui a propulsé la civilisation dans la « société de la connaissance », comme elle est entrée, par le rail et l’électricité dans la « société industrielle ». De quoi parlons nous ?

Pour créer de la valeur se sont succédé la matière, puis l’énergie ; c’est désormais la connaissance dont il s’agit de s’emparer. Après l’acier et le charbon au 19e siècle, le pétrole et l’industrie au 20e siècle, l’information est au coeur du stade de développement du capitalisme du 21e siècle.

Des conséquences sans limites

Cette dimension informationnelle transforme radicalement les modes de production, de socialisation, d’échange, de constitution et d’acquisition du savoir. Elle a des conséquences incommensurables. J’en évoquerai quatre.

Travail et mode de production

La création de valeur réside de plus en plus dans la recherche de l’appropriation des « connaissances, des savoirs et des compétences ». En mettant les connaissances et les savoirs de chacun, quelle que soit sa qualification, au centre de la création de valeur et de richesses, la révolution informationnelle fait avant tout exploser la composante intellectuelle du travail. Le travail de salariés, de plus en plus nombreux, n’est ainsi plus ainsi plus mesurable en unité de temps.

Elle bouleverse également le répartition de la production en en mondialisent les flux en réseau. Cette production hyper segmentée, qui recycle en continue la R&D, est ainsi perpétuellement en recherche de la localisation la plus favorable à la rentabilité du capital, et ce pour chaque segment de la chaine. On ne délocalise finalement plus tant une usine qu’un segment de production dont les autres segments se relocalisent en permanence, ballotés par les contextes fiscaux et politique de l’aménagement capitaliste du territoire mondial, le tout interconnecté. Propriété intellectuelle

Bouleversement également de la course aux avantages compétitifs immatériels. Contrairement aux conceptions de l’économie traditionnelle, la richesse basée sur le transfert d’informations numérisées est immatérielle, a cout de reproduction nul. Elle implique une formidable possibilité d’échange, contrariant ainsi les théories néoclassiques de la valeur échafaudées sur le principe de la rareté d’un bien.

C’est pourquoi le capitalisme mondialisé veut rendre rare ce qui est abondant, privé ce qui est public, rentable ce qui est gratuit. La maLÉDiction de la baisse tandentielle du taux de profit est conjurée par la revente sans fin de ce qui ne coûte plus rien, comme la musique en ligne, les logiciels propriétaires, l’accès aux réseaux de télécommunication. Pour cela, d’immenses forces sont consacrées à l’extension sans limite de la propriété intellectuelle : brevetabilité du vivant, du médicament, du logiciel, de l’image, de l’idée... prolongent et se substituent à la propriété privée des moyens de production.

Hyper Surveillance

Troisième exemple, l’installation d’une société de l’hyper surveillance. Biométrie, tracabilité, nanotechnologie, technologie intrusive, RFID, vidéosurveillance, DRM : au travail, chez soi, dans la cité, comme consommateur, dans son ordinateur, les technologies numériques font de plus en plus irruption au profit d’une surveillance permanente de nos faits, gestes, écrits ou paroles. Elles dessinent une société du contrôle total, où ce ne sont pas les machines qui surveillent les hommes, mais quelques hommes qui contrôlent les machines qui surveillent tous les autres. Quelle est la part de liberté que nous sommes prêt à aliéner au profit des nouveaux services ? Qui controlera les controleurs ?

Rente cognitive contre Biens Communs informationnels

Dernier exemple, la menace que fait peser la rente cognitive prélevée sur la richesse informationnelle privatisée, contre les biens communs informationnels qui doivent rester prorpiété collective. Toutes les capacités cognitives (imagination, créativité, intelligence) sont désormais marchandisées pour capter des « rentes immatérielles » protégées par la propriété intellectuelle. Dans ce capitalisme du 21e siècle, la notion de « capital humain » permet de réduire l’humain à un stock de compétences et de savoirs susceptibles d’être comptabilisés dans un bilan et valorisés financièrement. C’est le point ultime de l’extension de la logique financière à toute la société. Elle est étendue aux actifs publics que sont les marques, les musées, les patrimoines, les réseaux de connaissances, les systèmes d’éducation et de santé...

Cette volonté de captation affronte un mouvement contraire de coopération et de d’échange, à l’instar des logiciels libres, des médicaments génériques, des labels autoproduits, des créations copyleft ou des licences creative commons... Ces modes alternatifs donnent au contraire à voir les externalités positives que sont le gout du don et l’esprit de partage qui repose au plus profond du corps social. Entre les deux modèle la bataille fait rage.

Affrontement de classe et modèle antagonistes

Est-il possible de changer la société sans s’attaquer à ces questions ? Le capitalisme, lui, y consacre toute son énergie et son intelligence, avec la bataille mondiale en cours sur la maîtrise de la propriété intellectuelle et la mise en place organisé d’une société planétaire de la surveillance continue. Les fusions acquisitions gigantesques des années 90 sur les télécommunications se font désormais sur des éditeurs de base de données, des communautés logicielles, des réseaux en ligne de socialisation, la maîtrise des normes et des standards, à coup de centaine de milliards de dollars.

Il ne s’agit donc pas là seulement d’un bouleversement économique et social. Il s’agit aussi d’un lieu essentiel du combat politique et idéologique. Signes, langage, images, médias, arts, marques, éducation, logiciels sont la substance et le terrain du combat idéologique et politique contemporain.

Le partage des savoirs va-t-il enfin permettre le partage des pouvoirs ?

Tout aussi suicidaire que de mésestimer la portée des révolutions en cours serait d’orienter l’action sociale sur une logique défensive en laissant croire que la Révolution Informationnelle serait intrinsèquement mauvaise. Hyper Empire, Hyper Marché, Hyper Conflits et Hyper surveillance ne sont pas fatalements liés à la civilisation de la connaissance.

Pour la première fois, une invention technique libère la civilisation de toutes contrainte de rareté dans sa capacité à rendre universelle la connaissance. Ce sont là les enjeux forts de classe du 21e siècle. Nous devrions incarner ce que Bill Gates appelle avec mépris le communisme informationnel : l’universalisation de la connaissance pour apporter à tous les savoirs, la culture et l’information comme un bien commun échappant à la marchandisation. Il s’agit au fond de rien mois que d’assurer la gestion démocratique de l’intelligence collective : c’est là une définition forte du communisme contemporain.

Sur tous ces sujets ils nous faut travailler et produire des idées. Cela nécessite que la dimension informationnelle prennent une place cardinale dans toute nos réflexions. Nous y consacrerons une journée de travail en octobre. Car faute de traiter du capitalisme actuel dans sa complexité, on laissera le terrain à ceux qui se proposent -ou se résignent à l’accepter tel qu’il est.

Jérôme Relinger

Pour participer à cette lutte, vous pouver signer la pétitition mise en ligne par le magazine SVM.

A noter également l’existence du site intulé la quadrature du net. Il s’agit d’un collectif de citoyen qui informe sur des projets législatifs menaçant les libertés individuelles, les droits fondamentaux et le développement économique et social à l’ère du numérique.

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