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« Rue Mulliez », Estaimpuis, Belgique

Pas besoin d’aller très loin pour trouver des exemples de la façon dont les plus riches contournent les lois françaises pour se soustraire à toute redistribution au bénéfice de la collectivité des richesses produite par leur salariés : nous vous livrons ici l’excellent dossier réalisé par Laurence Mauriaucourt et Pierre Ivorra dans l’Humanité sur les grandes fortunes exilés à la frontière belge...

À quatre pas de la frontière, la première maison appartient à Geneviève Mulliez. Et tout au long de la rue de la Reine-Astrid et alentour, plus d’une dizaine de grandes propriétés abritent une partie du clan familial. Promenade.


Quatre enjambées pour l’homme, un grand bond pour l’exilé fiscal. Sur le trottoir de gauche, la France, Toufflers (Nord). Sur le trottoir de droite, la Belgique, Estaimpuis, commune de 10 000 habitants de la province du Hainaut belge. Un territoire rural, très étendu, fusion de sept villages. La première maison, le n° 1 bis, c’est celle de Geneviève Mulliez-Gras. S’exiler, ici, c’est juste poser ses valises symboliquement, voire cyniquement, de l’autre côté du panneau frontière. L’immense bâtisse de briques est plantée au croisement de la fameuse rue de la Reine-Astrid. Plus on avance dans cette rue paisible, plus les haies, impeccablement taillées, se font hautes et touffues. Jusqu’à occulter totalement parcs boisés et habitations lorsqu’on arrive à hauteur du n° 90, résidence de Patrick Mulliez, fondateur de Kiabi et fils de Gérard, le fondateur d’Auchan. Impossible de stationner. Les abords sont engazonnés. Si vous sonnez, 
attention, vous êtes filmés  !

Une bonne partie de la famille a annexé ce coin de plate campagne. Pas de bruit. Aucun nom sur les boîtes aux lettres. Juste cette indication  : « â€¯Pas de publicité  ». Un peu gonflé pour une famille qui inonde le peuple de prospectus pour l’inciter à consommer dans leurs incontournables enseignes  : Auchan, Kiabi, Decathlon, Leroy Merlin, Banque Accord, Midas, Norauto, Tape à l’œil, Brice, Jules, Pimkie, Top Office, Cultura, Pizza Paï, Saint-Maclou, Flunch, Boulanger, Kiloutou (voir notre infographie)... Le clan familial, auquel on appartient par hérédité ou par alliance, représente 500 personnes, qui pèsent 30 milliards d’euros, ce qui le place en tête du palmarès des grandes fortunes de France, devant Bernard Arnault avec LVMH, selon Benoît Boussemart. Ayant été jusqu’à nommer sa maison d’édition Estaimpuis, l’économiste lillois s’attache à faire la transparence sur la « â€¯galaxie  » Mulliez. Ne parlons pas encore de « â€¯groupe Mulliez  »â€‰ ! Le tribunal de Lille est saisi pour juger de cette appellation qui obligerait notamment à reclasser en interne les salariés que « â€¯l’empire  » abandonne sur le bord de sa route.

Halte devant l’une des résidences. Aucune fenêtre ne donne sur la rue. Elle serait à vendre. « â€¯Oui, c’était des Mulliez, ici, aussi. Ils ont fait fortune en France dans les maisons de retraite. Et maintenant qu ’ils sont eux-mêmes à la retraite, ils sont partis dans les îles, pour aider des enfants défavorisés...  », confie Roselyne (appelons-la ainsi), qui vit dans la petite maison d’en face. Percluse de douleurs rhumatismales, elle ne sort quasiment plus. Elle attend l’infirmière. « â€¯C’est une niche à Mulliez, ici, comme on dit, nous. Avant, il n’y avait que des ouvriers. Moi je suis née dans cette maison et j’ai quatre-vingts ans. J’ai vu le changement. Je suis entourée de riches  », susurre-t-elle avec malice. Riches mais généreux, puisqu’ils s’occupent d’enfants pauvres  ? « â€¯S’ils pouvaient m’en donner un petit morceau  », poursuit la vieille femme, nous invitant à constater que les Mulliez sont à droite de la rue pour « â€¯avoir le soleil dans le dos  ». En Belgique, quand on a des sous, on peut même trouver le soleil...

Une autre voisine confirme  : « â€¯Il n’y a pas de relations entre les gens d’ici et les Mulliez. Je ne suis pas dans leur intimité.  » La seule chose dont elle soit sûre, c’est que leur présence « â€¯contribue à faire flamber le prix de l’immobilier dans le coin  ». Un cantonnier de la province s’occupe à faire disparaître la moindre feuille morte qui atterrirait dans le caniveau. Tellement de Mulliez dans cette rue de la Reine-Astrid qu’il faudrait la rebaptiser « â€¯rue Mulliez  », non  ? « â€¯Ah non  ! La reine, c’est quand même autre chose ! », s’offusque le gaillard, s’emparant ostensiblement de son manche de pelle, avant de décamper.

Nouveau coup de sonnette. Au domicile d’Alix Mulliez (française, trente-cinq ans, fille du fondateur de Kiabi, dirigeant d’une société immobilière), rue des Saules. L’interphone crépite  ! Une voix de femme. Nous nous présentons  : des journalistes faisant une enquête sur les Français installés en Belgique et souhaitant pouvoir nous entretenir cinq minutes avec elle. La voix se fait joliment ferme  : « â€¯Il n’en est pas question.  » « â€¯Vous habitez ici depuis longtemps  ?  », poursuivons-nous, ignorant le refus. « â€¯Je ne vous répondrai pas puisque je ne veux pas vous accorder d’entretien.  » Nous nous contenterons donc de repérer les fleurs de lys galvanisées, qui tiennent la gouttière. Même pas dorées. LM

Un pays qui parle à l’oreille des riches

(article de Pierre Ivorra)

Grâce à la complaisance de la législation belge, le centre de financement mondial d’Auchan ne paie que 0,01 % d’impôt.

Comment expliquer cette tendresse des Mulliez pour la Belgique ? Un seul exemple permet de le comprendre. En 2011, le centre de coordination d’Auchan installé à Bruxelles, rue des Quatre-Bras, constitué en 2006, et ayant pour objet « â€¯le financement du développement international du groupe  », 
véritable bras financier armé international de la nébuleuse, a déclaré un bénéfice de 114,77 millions d’euros. Sur ce magot, il n’a acquitté au titre de l’impôt sur les sociétés que 11 967 euros, 0,01 % du profit déclaré  !

Présidé par Vianney Mulliez, PDG d’Auchan et fils de Gérard, le fondateur, le centre de coordination n’est pas une entreprise en difficulté. Il a les reins solides, puisqu’il dispose de 3,7 milliards d’euros de capitaux propres. Il tire ses profits des 126 millions d’euros d’intérêts perçus sur les prêts accordés aux filiales, notamment à ses sociétés françaises. L’exil a du bon  !

C’est une disposition de la loi belge qui permet ainsi aux multinationales d’échapper quasiment à l’impôt. En page 19 du rapport 2011 du centre de coordination d’Auchan, une ligne explique ce tour de passe-passe. Au bout de la onzième ligne, intitulée « â€¯déduction du capital à risque  », il y a la coquette somme de 117,1 millions d’euros. La société a le droit de déduire ce total de son impôt. Si le fisc n’avait pas considéré que certaines charges déduites par l’entreprise n’avaient pas lieu d’être, l’État belge aurait dû lui verser de l’argent  !

Cette déduction d’impôt du capital à risque est plus connue sous l’intitulé des intérêts notionnels. Ces derniers font suite à une autre mesure mise en œuvre en 1982  : les centres de coordination. Un centre de coordination est une sorte de banque d’un groupe multinational qui prête de l’argent à l’ensemble des filiales du groupe partout dans le monde et qui perçoit des intérêts. Ces centres, qui continuent d’exister, avaient des avantages fiscaux très importants, payant au plus de 1 à 2 % d’impôt sur les bénéfices. Cela a été condamné par l’Union européenne, mais la Belgique, plutôt que de mettre un terme à ce dumping fiscal, a créé les intérêts notionnels qui permettent à une multinationale de déduire l’équivalent de 3 %, 4 % ou 5 % de ses capitaux propres, selon les années. Une entreprise qui a 100 millions d’euros de capitaux propres va pouvoir déduire 3, 4 ou 5 millions d’euros sur ses impôts. Pour que cette mesure ne soit pas jugée discriminatoire, cet avantage a été accordé à toutes les sociétés installées en Belgique.

Le Parti du travail de Belgique (PTB) a récemment publié le Top 50 des plus grosses déductions fiscales, on y relève le nom de plusieurs groupes français, notamment du géant du gaz et de l’électricité, GDF Suez. Toute cette affaire a conduit à un dérapage budgétaire énorme  : 
4 à 5 milliards par an, sachant que l’impôt sur les sociétés rapporte 10 milliards.

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