Débat à Lille le 9 décembre 2008
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Un monde à nourrir

Compte rendu dans Liberté Hebdo du Débat organisé par les Amis du journal « La Terre » à Lille, qui a permis d’aborder les défis agricoles et alimentaires. Un constat : le système actuel, à l’origine de la flambée des prix et des émeutes de la faim du début d’année, ne peut pas y répondre.


• « Les consommateurs doivent se préoccuper de ce qu’ils consomment et des conditions dans lesquelles tout cela est produit ». À plusieurs reprises, le débat organisé cette semaine à Lille par les Amis du journal La Terre [1] sur le thème des « enjeux alimentaires au 21e siècle », aura rebondi sur cette nécessité – urgente aux yeux de l’ensemble des intervenants – de favoriser la rencontre entre ceux qui produisent l’alimentation, les paysans, et ceux qui la consomment. Ceci, afin de se rendre compte, ensemble, que les responsabilités des difficultés actuelles (prix, risques sanitaires...) trouvent surtout leur source dans une logique qui privilégie le profit sur le bien-être commun. Gérard Le Puill, journaliste et auteur de « Planète alimentaire, l’agriculture française face au chaos mondial », livre autour duquel la soirée-débat avait été organisée (voir page 3) rappellera quelques points-clefs : « la production agricole a besoin en permanence d’outils de régulation, car les denrées sont périssables. Si on laisse uniquement jouer l’offre et la demande, cela se traduit par une volatilité des cours. Quand ils augmentent, ils ruinent le consommateur. Quand ils baissent, c’est le paysan qui est ruiné ». Or, aujourd’hui, ajoute le journaliste, « l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce ne font que déréguler ».

Doubler la production agricole mondiale

C’est sans doute l’élément important qui sera au centre de cette rencontre. Tout le monde, finalement, conviendra que l’agriculture doit échapper au tout libéral. « Ce n’est pas un secteur économique comme un autre » affirme ainsi Philippe Vasseur, pourtant ancien ministre de l’Agriculture des gouvernements Juppé de 1995 à 1997 qui ne se sont pas franchement inscrits dans une logique antilibérale. « Elle correspond à un territoire, et nous sommes garants des territoires. Entre les échanges absolument réglementés et le laisser faire, il doit y avoir une marge de manœuvre. Moi, je pense qu’il faut des règles » insiste l’ancien ministre. La question est essentielle. En introduction, l’un des initiateurs du débat, Charles Beauchamp, conseiller général (PCF) du Nord avait rappelé l’un des enjeux : « dans 40 ans, il faudra nourrir 3 milliards d’être humains supplémentaires ». Les émeutes de la faim que l’on a connues dans la dernière période sont là pour nous rappeler que le système actuel est loin d’être à la hauteur des défis, notamment celui de ne pas laisser un seul des 9 milliards d’humains qui peupleront demain la planète souffrir de malnutrition. Et Charles Beauchamp d’évoquer également « les difficultés des producteurs, comme les endiviers, victimes du diktat de la grande distribution ». « Une agriculture productrice, mais plus propre, est nécessaire » affirme encore le conseiller général. « La planète a besoin de doubler sa production agricole » assure Xavier Compain, du Mouvement de défense des exploitations familiales (Modef). « Notre première mission, c’est de nourrir les hommes. Or, il existe, en Europe, notamment en provenance des Pays-Bas ou d’Angleterre, des discours affirmant que l’agriculture c’est ringard, qu’il faut privilégier le tourisme et les services. Actuellement, à l’OMC, les négociations se font sur le dos des paysans français. Pour les tenants de ces discours, la ferme mondiale, ce doit être l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les USA ». « On importe beaucoup en France, sans contrôle et sans traçabilité » dénonce pour sa part Ghislain Mascaux, le président des Jeunes agriculteurs du Nord. La dérégulation des échanges agricoles mondiaux met à mal la souveraineté alimentaire quand il faudrait encourager les pays à développer leur agriculture pour ne pas être à la merci du marché.

Éduquer le consommateur ?

« Pour nourrir la planète demain, nous aurons besoin de toutes les agricultures du monde. Ce que l’on produit soi-même, il n’est plus nécessaire de l’importer » affirme Gérard Le Puill. Philippe Vasseur n’est pas loin de partager ce propos. « Oui, si nous voulons échanger et commercer davantage, nous devons raisonner en termes de grandes régions mondiales plutôt que de dire qu’il faut tout libéraliser au risque de déstabiliser les agricultures de pays qui n’ont pas de quoi se nourrir ». Mais pour l’ancien ministre, il conviendrait également d’interpeller le consommateur. « Quand vous achetez des fraises en hiver, où pensez-vous qu’elles soient produites ? Il y a 50 ans, 42 % du budget des ménages était consacré à l’alimentation. Aujourd’hui, cette proportion a été réduite à 15 %. Si vous avez 4 téléphones portables dans votre famille, et que l’on vous propose un poulet brésilien moins cher que le poulet français, le choix est vite fait » estime-t-il. Mais si « une éducation du consommateur reste à faire », pour reprendre les mots de l’ancien ministre, quid des choix politiques indispensables pour remettre l’agriculture dans le bon sens ? Philippe Vasseur en convient, « l’OMC n’est pas un véritable outil de régulation ». « Cette structure n’est pas le bon endroit pour parler d’agriculture et d’alimentaire » appuie Xavier Compain. Selon lui, plutôt que de se contenter de mobiliser la FAO (organisation des Nations-unies pour l’alimentation et l’agriculture) face aux guerres et aux épidémies, « il faudrait lui faire jouer un rôle d’arbitre des échanges internationaux ». Pour Gérard Le Puill, « la question de la souveraineté est très importante ». Le journaliste insiste sur « cette sagesse permettant d’équilibrer ses propres sols avec une agriculture durable ». « Si l’on veut nourrir 9 milliards d’être humains, il va falloir renouer avec de bonnes pratiques agronomiques [2]. Nous sommes allées trop loin dans la spécialisation agricole. Cela entraîne la déforestation. On fatigue et infertilise les sols. Des solutions existent. Même s’il faut reconnaître que ce que l’on voit aujourd’hui n’incite pas à l’optimisme ».

Bruno CADEZ

2) Gérard Le Puill évoque notamment le livre de Michel Griffon, « Nourrir la planète » (Odile Jacob).

Notes :

[1Gabriel Dewalle, de la Confédération paysanne, qui devait être des intervenants de la soirée, n’a pu y participer, en raison de l’audience qui l’a retenu au tribunal de Douai, au sujet de son refus de soumettre à un test ADN

[2Gérard Le Puill évoque notamment le livre de Michel Griffon, « Nourrir la planète » (Odile Jacob).

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