article de Liberté Hebdo du 16/10/09
• Lille, 8 octobre 2009. Sur le coup de 11h, dans la bibliothèque du groupe scolaire Bara-Cabanis, dans le quartier de Fives, Amandine Plancke craque. Après une nuit de service à l’hôpital, pas étonnant. Ce qu’elle vient d’entendre de la bouche diplomatique d’Yves Goepfert, l’inspecteur en charge du handicap sur la circonscription, elle le traduit, entre deux sanglots, par ce constat : « L’Éducation nationale sacrifie un an de la vie de mon fils ». Larmes salées de colère.
Amandine et les quatre autres mamans qui occupent l’école depuis plus de deux heures n’auront pas d’auxiliaire de vie scolaire pour leurs enfants respectifs. Du bout des lèvres, une solution de fortune est évoquée « d’ici au 1er décembre ». Trois mois de foutus !
Malheur des minorités. « On s’en fiche, des enfants handicapés ! », lâchait tout à l’heure Alice Rehel, mère de Morgan, scolarisé en primaire, souffrant d’une myopathie. D’ailleurs, si M. Goepfert a fait un saut express jusqu’ici, ayant eu vent de l’occupation publique des lieux, c’était plutôt mauvais signe. Pour les cinq jeunes femmes concernées, la presse constitue leur « dernier recours ». Toutes se heurtent à un épais silence. Alors, elles s’adressent à l’opinion. « L’indifférence face à la différence », est-il écrit sur un panneau. Au-dehors aussi, claquent les mots. « Non à la discrimination, oui à la scolarisation ». Le slogan panoramique, fixé sur le parapet du trottoir de la rue Cabanis devant l’une des deux entrées du groupe scolaire, accompagne le pas et le regard des passants du trottoir d’en face.
Un bond de six ans en arrière
Comment en est-on arrivé à cette pénurie d’AVS ? L’année 2003, quand le handicap était proclamé « priorité nationale », discours d’Etat légiféré deux ans plus tard, semble vraiment lointaine. Le texte de loi garantit pour les élèves handicapés « l’égalité des chances et des droits ». En 2009, chacun peut mesurer le recul : un gouffre de six ans. On est dans la rupture vis-à -vis des enfants. L’Education nationale, où des milliers de postes sont supprimés à chaque rentrée comme une rengaine, assure de plus en plus mal sa mission. D’autres chats à fouetter que les AVS. Seulement voilà , cinq cas dans une même école, ça commence à se voir. « Nous voulons que la situation se débloque. Et pas aux calendes grecques ! », souligne avec force Olivier Dutour, secrétaire adjoint de la Fédération des conseils de parents d’élèves. La FSU est également présente en cette matinée où les signatures viennent couvrir les feuilles de pétition de ce « Groupe de parents d’enfants sans AVS ». De même, Sylviane Delacroix (PCF) et Dominique Plancke (Verts), élues à la Ville de Lille, sont là pour épauler les cinq mamans dans leurs revendications. « Pour un problème d’AVS, veuillez nous adresser un e-mail »... Voilà un exemple du dialogue avec l’administration auquel ont droit Amandine, Alice et tous les parents dans la même contingence. Sur répondeur électronique, bien entendu. Coups de fil inutiles, courriers recommandés dont l’accusé de réception ne revient pas avec la rapidité d’un boomerang, réponses tardives ou évasives, souvent absence de réponse : « Tout le monde se renvoie la balle », dénonce Claire B., maman d’un écolier en CE2, qui « n’arrive pas à écrire vite », dont elle tait le nom, parce qu’à ses yeux « il ne faut pas stigmatiser davantage les élèves en difficulté ». L’enfant de Claire « accuse le coup ». Les gosses perçoivent très tôt leur différence.
Le garçon d’Amandine, âgé de cinq ans, souffre de troubles du comportement. « On ne sait pas ce que c’est. Les médecins cherchent du côté des maladies génétiques ». L’enfant est censé être assisté « trois jours et demi par semaine », car « il a vraiment besoin d’aide ». Mais rien ne vient. Pour une autre mère, le problème se pose cette année. « Le contrat AVS de l’an dernier n’a pas été renouvelé, alors que ça marchait bien. Pourquoi ? ». Non, l’Etat ne gère pas « correctement », dit-elle, reprenant un mot employé tout à l’heure par Yves Goepfert. « Voire, pas géré du tout », ajoute-t-elle, visiblement très remontée par l’annonce de l’arrivée « prochaine » de trois contrats d’accompagnement à l’emploi (CAE), signe que l’Education nationale se désengage financièrement de la partie.
Selon Pierre Laumenech, secrétaire départemental Snuipp-FSU, d’autres cas sont pointés dans des établissements de la métropole (Lille, Villeneuve-d’Ascq, Mons-en-Baroeul, Lezennes), ainsi qu’à la maternelle Matisse de Sin-le-Noble, dans le Douaisis.
Ce mardi 13 octobre, la FCPE a interpellé l’Inspecteur académique sur la situation « inadmissible » de Bara-Cabanis. Les parents annoncent la poursuite de leur action, « sous d’autres formes », selon les termes de Sabine Wilson, qui en a marre du « mépris ».
AL